Blanche

Du plus lointain de ma jeunesse je la remets
Comme si nous nous aimions tous les deux à jamais.
Nous formons un vieux couple par delà les années
Entraîné l’un par l’autre à se bien ramener
Au service de la prose tout au cours de la feuille
Afin de conjurer l’inspiration en deuil.
Je suis allié à Blanche sur le long de mes pages
Par tous mes personnages en un aréopage.
Et quand je suis perdu, elle vient me rechercher
Tout comme un naufragé, collé à son rocher.
Blanche est mon seul fantôme, couché sur le papier,
Où elle se définit au long de douze pieds.

Le 06.05.2020. C.B.

A l’horizon du temps

Assez souvent je planque, afin de ne rien faire,
Ce qui de la planète n’arrange pas les affaires.
Mais je tire du plaisir à me rendre inutile,
A ne pas être rentable en un but mercantile.

Ca me remplit de joie de me perdre ainsi,
A l’horizon du temps où je me tiens assis.
Je suis pas un vieux sage pour me la ramener
Et tirer avantage du nombre des années,

La jouer en ancien à qui on la fait pas,
Car je le sais trop bien de l’aurore au trépas
On n’apprend rien du tout que cet art d’être seul,
Encore plus dév’loppé dès qu’on ouvre sa gueule.

Alors, j’use mes forces, à l’horizon du temps,
En isolé péquin que personne n’attend.
Je vais en solitaire par les lieux désolés.
Où jamais ne se risquent que des ombres affolées.

Et là je cherche après mes frères disparus
A convoquer le charme par des vers de mon cru.
Oui le charme existe des sites les plus sordides
Comme si une âme naissait de ce qu’on croit le vide.

Une trace invisible saluant notre passage
Et qui répand de nous une espèce de message.
Tous ces riens d’abandon me forment une famille
Une sorte de peuple où les présences fourmillent.

Oui, je suis habitué par tout ce qui n’est pas
Où l’absence se traduit sur le fil de mes pas.
Plus j’avance, moins je suis de la réalité,
Comme si de deux fantômes mon être enfanté

Arpentait des espaces sans cesse repoussés.
Je suis bien plus perdu que le Petit Poucet.
D’où pourrais-je les voir les traces de mon vécu
Rien que le temps d’une fois en un simple aperçu ?

Montrez-là moi enfin celle qui est mon histoire
Que je me plonge au fond en l’eau de son miroir.
Elle me fuit de toute part comme si j’étais un autre,
Elle ne veut se montrer ni à moi ni aux autres.

Ma vie est une perte perpétuelle du temps
Un passé aboli de plusieurs fois cent ans.
Je voudrais la cacher qu’elle serait déjà morte
Sans m’ouvrir de mon antre toutes grandes les portes.

Vous, les secrets enfouis, parlez-moi de  mes jours,
Instruisez-moi un peu et cela sans détour,
De ce que j’ai manqué et qui m’est bien perdu
A l’horizon du temps où ma fin est rendue.

Je n’ai plus le ressort pour illustrer ma vie
Ni d’inventer encore au fil de mon envie,
Aussi, ai-je décidé à l’ombre de ma fin
De ne pas me tenir comme quelqu’un qui feint.

 

Le 8.2.2020. C.B.

Je me sens pris de l’être

Sans prévenir personne parmi mes camarades
Je m’en vais seul marcher une calme promenade
Sans aucun but précis autre que de m’oublier
Le long du temps qui va et de son sablier.
Je n’ai de but avoué que de me retrouver
Comme un seul homme en moi occupé à rêver.
Je trace le long des haies avant d’aller au bois
Où je me vêts d’une ombre toute couchée sur moi.
Elle s’accorde aux feuilles de ce coin solitaire
Dont peu à peu j’habite doucement le mystère.
Je m’établis en hôte voyageant sans témoin,
Silencieux à souhait et dont le plus grand soin
Est de se fondre au coeur de ce qui fait l’absence,
En ce terrain propice à gommer ma présence.
J’avance pas à pas comme si je n’étais pas,
J’avance d’un air fantôme tout sorti du trépas.
Que puis-je demander à ce monde désolé ?
Quand soudain un frisson en vient à  m’affoler.
Je me sens pris de l’être et un souffle m’enrobe
En un creux de caresse sans que je me dérobe.
Une histoire se raconte le long de mon esprit
En un luxe de détails qui me rend tout surpris :
Il se lève une aura aussi fine qu’un voile
Qui d’un frisson parcourt tout le sens de mes poils.
Et me voilà au pied d’une tombe isolée,
Pas du tout dans le style pompeux du mausolée;
Une sépulture en ruine cernée par la broussaille
Avec un rang de pierres en manière de muraille.
Je regarde ce jardin où ne fleurit nul nom
En dehors de la fuite lorsque nous la prenons.
Qui me chavire l’âme de ce point de néant
Comme si j’étais en prise avec un revenant ?
Je ne saurais le dire autrement qu’au silence
Dont ma pensée s’env’loppe quand une autre s’élance
A me parler d’une voix qui se lève de l’ailleurs.
« -Pourquoi me viens-tu voir sans montrer de frayeur ?
Quel espoir nourris-tu de cotoyer la mort ?
Sens-tu encore planer de ce qui me fut fort ?
Quand je hante ces lieux du fond de ma mémoire
Et que l’anonymat parle par mon histoire ?
Je suis une perdue en l’oubli de chacun
Et c’est peut-être en toi que je deviens quelqu’un.
Peux-tu me dire d’où tient que nous nous connaissions
Et si oui nous jouissons d’une commune passion ?  »
…Jusque-là tue aux autres mais belle et bien réelle
L’une de celles qui nous révèle toi et moi duel.
Nous formons un vrai couple, unis de par l’absence
Qui nous renforce sans cesse jusqu’à reconnaissance.
Je me sais désormais avec elle en coulisse
Qui me borde d’une ombre en son rôle de complice.
Je la vis mienne de chair au point de m’être une soeur
Qui me parcourt en long d’un soupir de douceur.
Elle est tout mon frisson et le suc de ma sève,
Elle anime mon regard jusqu’au bout de mes rêves.
Je sors des bois comme un homme seul en apparence
Mais sans être obligé de quelque transparence.
Je suis porteur d’une autre qui revient à la vie
A travers la camarde jetant son pont-levis.
Elle n’est plus l’hôte de la mort, mais une vivante
Une qui caresse mon corps de ses flammes ferventes.
Pour commencer, où est-ce qu’on va se reposer
Nous tous les deux, car on va rien se refuser ?
Eh bien alors, pas la peine de la présenter;
Je la garde pour moi sous la forme d’une nouveauté.
Je me promène avec mon autre, et c’est ma chance;
Vous seuls et moi nous en prenons la connaissance.
Je suis en route avec ma soeur, sortis des bois
Et c’est pour elle comme une source à laquelle elle boit
Que ce couple que nous sommes tous les deux et tout neuf
Aussi fort qu’une union qui s’extrait de son oeuf.
Si un jour, une nuit, ailleurs, vous nous rencontrez
Jamais de la vie vous ne nous reconnaîtrez;
Mais ça n’engage pas que nous nous vous remettions
Sur le simple constat de poser cette question :
Les couples mixtes vivants et morts, sont de ce nombre
Des humains rapportés où le charme est une ombre.

Le 22 décembre 2018. C.B.

Je suis souvent avec ma mère

Je suis en charge d’un fantôme qui hante les travées de mon caberlot avec un charme volé aux songes. Mon imagination croise au large de son absence. Je lui sied de m’accorder visite. Parce qu’elle se refuse à manifester son autre en dehors de moi. Je la sais mienne. Entre les ombres de la nuit elle se déplace de l’une à l’autre jusqu’à la mienne où je l’attends. Et quand nos ombres ne font plus qu’une je suis son double. Je suis le sien là où son âme se propage au refuge de ma seule pensée. Avec elle je me sens en âge d’être un autre. Et j’en profite pour en chausser les bottes et me tirer ailleurs sur ces sentes où elle posait son oubli. Je les ai retrouvées entre des songes venus me rencarder : « — Ta mère y allait. Ta mère y allait. Vas-y à ton tour. Mais aie soin de croiser en dehors de tes pas ce qui est son absence.

 Le 9 novembre 2018 C.B.

L’éternel rêve humain

À Hubert-Félix THiéfaine

À depuis la nuit des temps remonte ce rêve de l’éternel humain : se voir après sa mort. J’aurais pas ce plaisir de prospérer en fantôme de mon autre. Se dépasser n’est pas de ma compétence. Je sais bien que c’est une responsabilité terrible que de ne pas rester pour ceux auxquels je conviendrai. Mais tous mes rendez-vous sont déjà pris avec l’absence. C’est ici mon point de rencontre.

Le 10 octobre 2018. C.B.

En trop

Il me manque des ruines pour exprimer le vide au delà d’où je songe, comme si j’étais de trop. Oui,je me sens de trop par tout le temps lassé, où même d’être seul n’aboutit qu’à un leurre. Rien ne se remet avec toi que le lien de l’absence. Où es-tu sans fantôme à croiser sur le chemin du deuil. Je me cherche une âme tellement je me perds à bout de souvenance. Je me perds car je me sens en trop, à la charge de la solitude qui ne me porte plus. Si seulement le chant me venait de ta voix…

Le 25 mars 2018. C.B.

La veuve grise

Elle ne le remplace pas, et cependant elle cherche son fantôme au travers de sa chasse, comme si par des absences au reste de la réalité elle retrouvait sa compagnie. Il est à elle en ses songes sous l’espèce particulière que l’âme enfante des fantômes du souvenir. 

-Où il est ?! Où il est ? !

-Je ne peux pas répondre à cette question là que tu me poses, ma pauvre chatte. Tu es condamnée aux amours stériles emportées par l’oubli. Si certains croient en leur étoile de retrouvailles aux cieux, moi je n’ai pas de réponse à ta perte.

-Tu sais, j’ai pas plus de peine que ma moitié… Mais c’est déjà énorme. Il n’est plus là où que j’aille où il se portait, avant d’être renversé. Je le retrouve pas.

-J’ai peut-être une idée.

-?… !

-Rendons-nous au cimetière des ruines. Toutefois, s’il en fréquentait une ou des…

Pour la première fois depuis des jours, elle me sourit de son regard fendu avec un sens à sa quête du mort.

Le 22 juillet 2017. C.B.

Frida

Une fois, sans me trouver, je me promène dans le Louvre, au département des sculptures, l’âme oubliée à ne rien activer, seul ou presque en cette heure de midi où l’affluence prend un peu de repos. Je m’assieds à songer  sans me soucier du reste…. Quand, quand oui, j’entends bien une voix qui parle comme à mon oreille.

« -Tu m’entends, dis, tu m’entends ? « 

Je me retourne, et après examen de la situasse, je me rends compte que c’est une statue de  gladiateur qui remue les lèvres. Vous pensez quelle frousse du diable m’envahit toute la structure !

« -Calme-toi mon camarade. J’ai une mission pour toi. En fait, j’attendais ta venue depuis un bail. « 

Quezaco ?

Frida

« -Tu connais Frida ?

-Frida…. ?…. Oui. Je la remets. C’est votre sorte de soeur….

-C’est ça… J’ai un message à son adresse. Tu veux bien être mon émissaire ?

-Je vous écoute…. fais-je, l’envie en moi de me  casser au plus vite, et d’échapper à ce manège de fou, grandeur nature. Car la statue est à ma taille, le muscle noueux, et l’énergie à fleur de marbre de tous ces siècles écoulés.

« -Mon cher ami, je te demande simplement de rapporter à Frida de me venir voir. C’est de l’ordre du possible. Il y a une place prête pour elle, et soit le personnel, soit la direction, personne n’y verra que du feu. Quand ils s’apercevront de sa présence, elle sera installée par sa seule force. Impossible de l’y déranger. Tu me crois ?

-Oui…

-J’espère tout de ton ambassade…. « 

Je remets ma gapette sur mon chef et je m’en vais me ressourcer sur la base d’un bon verre de pinard. Je vous assure préférer amplement cheminer sur des ruines. Mais de la pierre sculptée, mais de la pierre taillée…

 Une fois revenu en Anjou, j’hésite un tantinet sur la démarche à suivre. Et puis, un soir, invité là où réside Frida, quelque sentiment me lance. J’ai l’intérêt qui monte, et j’attends la nuit pleine pour revenir. Monté sur ma bécane, je me rends à nouveau sur place. Je rentre au jardin où se tient Frida. J’avance sans bruit, presque en l’absence de toute essence, le pas posé comme sur les traces de mon fantôme.

« -Pas tant de précautions; je suis là s’exprime Frida. Je ne dors pas.

-Je viens te voir parce que tu es aimée.

-Moi aimée ? Tu plaisantes, je suppose. Je n’ai que l’esprit et la patte de l’artiste pour me révéler.

-Tu es aimée. Je le sais !

-Par qui ?!

-Un gladiateur.

-Comment s’appelle-t-il ?

-Glaodio. Glaodio de Tyrène.

-Tu me mens pas ? qu’elle fait du fond d’une petite grotte de fraîcheur où elle loge entre la haie et la pelouse. Tu me garantis qu’il s’agit pas d’une entourloupe de ton cru ?

-Glaodio deTyrène. Je te dis ! »

Et elle prononce le nom comme je me retire.

       Après ce, je me demande s’il faudra pas retourner au Louvre, voir sur place… Mais j’ai pas besoin. Je rentre chez moi où je me couche, lorsque soudain, le caberlot à l’ailleurs, je vise au beau milieu de mes papiers, deux sculptures pas plus hautes que ma main, et serrées l’une contre l’autre : Frida et Glaodio.

Il semble rire d’un bel ensemble où je me mire, en l’atelier de leur rencontre.

                                                                                                                                                                                  Le 10 mai 2017.

                                                                                                                                                                                           C.B.

Rajout à une œuvre

Depuis un tableau accroché au mur, je pars en voyage de par la maison. J’en suis son fantôme. Je sors de mon somme pour exprimer cette scène au bord de la mer dominée de ruines. Je m’échappe du thème. Je restitue l’ailleurs. Il me va de me sortir du rien comme un rajout à une œuvre. Je suis fantôme de la création, un peu en sorte l’âme de l’artiste en son absence.

           Le 1er mai 2017.

                  C.B.