Mrs Dalloway – Virginia Woolf

dallowaycouvertureUne voix sans âge ni sexe, la voix d’une source ancienne qui jaillit de la terre. Juste en face de la station de métro Regent’s Park, elle provenait d’une forme allongée, tremblante, comme un entonnoir, comme une pompe rouillée, comme un arbre battu par les vents et à jamais privé de feuilles qui laisserait le vent parcourir ses branches en chantant :

ee um fah um so

foo swee too eem oo…

et qui se balancerait et craquerait et gémirait dans la brise éternelle.

Venue du fond des âges, de l’époque où les pavés étaient de l’herbe, où il y avait là un marécage, depuis l’époque des dents de sabre et des mammouths, l’époque des levers de soleil silencieux, cette loque humaine – c’était une femme, car elle portait une jupe –  la main droite tendue, la gauche agrippée à sa jupe, depuis toujours se tenait là à chanter l’amour, l’amour qui dure depuis des millions d’années, l’amour vainqueur, et son amant, mort depuis des siècles, qui, il y a des millions d’années, s’était promené avec elle, chantonnait-elle, au joli mois de mai. Mais, dans la suite des temps, longs comme un jour d’été, et tout flamboyants d’asters rouges, se rappelait-elle, il était parti ; la gigantesque faux de la mort avait fauché ces immenses collines, et quand elle finirait par poser sa tête blanchie et infiniment âgée sur la terre, qui ne serait plus qu’un résidu de glace, elle implorait les dieux de poser à ses côtés un bouquet de bruyère pourpre, là-haut sur son tertre funéraire que caresseraient les derniers rayons du soleil. Car alors la grande parade de l’univers serait terminée.

Extrait de Mrs Dalloway, Virginia Woolf, Paris, folio classique, 1994, p.167-168.

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