Une fille en songe

Je n’ai pas dit un mot sur elle, et j’ai rentré tout mon chagrin. Pourtant, elle raconte toute une histoire, et même encore j’en suis captif de ne pouvoir en évoquer ne serait-ce qu’une simple esquisse. Elle reste fuyante comme celles des manques qui ne transmettent que de l’absence à l’horizon où fuient les songes.

Le 30 juin 2022.
C.B.

Seuler

Du plus lointain que j’aille au fond de mémoire
Je ne connais personne qui use de ce mot,
Ni de bons écrivains, ni de vulgaires grimauds,
Aucun qui sache de lui honorer une histoire.
Le verbe seuler s’exclut de tout vocabulaire
Qui ne peut s’illustrer qu’à l’heure de vous déplaire.
Et pourtant vous vivez de toute son expression,
A ce mot inventé qui étend son pouvoir.
Vous le croisez sans cesse sans même le savoir,
Tant il fait pour vous preuve de toute son invention.

Le 30 juin 2022.
C.B.

Un perdu

Le jeune homme que j’étais avait tout d’un perdu
Mais depuis de la vie, je le lui ai rendu,
Ce mort que je portais et dont je suis le fruit.
À partir de cette ombre je me suis reconstruit.

Le 4 juin 2022.
C.B.

A l’appel

Après combien de temps faut-il courir pour s’oublier parmi les autres ? Je pose la question sans fond de celui qui n’est pas de ses contemporains et qui manque à l’appel à la fois des morts et des vivants.

Le 20 mai 2022.
C.B.

Entre nous

Sous ses airs de grande dame, la camarde est une froussarde, car elle m’a épargné le nombre de fois où j’ai voulu mourir. Elle n’a pas daigné me faire un signe convenu entre nous. Elle m’a épargné, comme vous pouvez l’être, lorsque la mort ne vous choisit pas.

Le 12 mai 2022.
C.B.

La visite

Jusqu’au bord de mon âme je pousse la visite
Comme au travers d’un monde ou les autres m’invitent.
Ils se trouvent la place qu’il faut pour voyager,
Jamais très loin de moi, ainsi que passagers.
Les autres sont les miens où je cherche mon prochain
Au milieu de ce peuple partagé en commun.
À chacun de vos pas, je vous suis rapporté
Comme si tout votre être je savais habiter.

Le 19 avril 2022.
C.B.

La mort de vivre

Elle me vient visiter souvent, la mort de vivre, et son cortège de sensations les plus diverses. La mort de vivre est mon commerce. Je voudrais bien y échapper, mais elle se dérobe à toute étude de son portrait afin de mieux l’identifier. La mort de vivre cherche après moi entre les ombres du mystère. La mort de vivre, je la rencontre en bien des points de mon errance, attachée à creuser l’absence.

Le 1er avril 2022.
C.B.

Je connais la technique

Pour me tuer, je n’ai besoin de personne. Je connais la technique qui consiste à vouloir se fondre en un ailleurs. À partir du moment où je ne puis devenir ce que je peux, il me faut revenir aux sources de la vie par le chemin de retour. Le suicide est une longue gestation dans le ventre de l’oubli… des autres.

Le 28 mars 2022.
C.B.

Sans provenance

J’entre en un cimetière tout moussu qui compte parmi ses tombes une ruine de sculpture, que l’on ne reconnaît guère qu’au songe qui en émane et se révèle par une présence de l’ailleurs où le regard se pose. Devant cet homme en pierre taillée je cherche la femme à lui dédiée entre des ombres sans provenance.

Le 30 janvier 2022.
C.B.

Les ondes du Styx

Ce que j’en bois et en boirai de ces eaux noires au fond de mon bol. Les ondes du Styx sont aussi sombres que le café, et j’en absorbe de quoi abreuver le fleuve de mes veines. L’on l’ignore, mais me traverse une Loire de couleur noire de laquelle je suis l’Anjou.

Le 28 janvier 2022.
C.B.