Une grenioche

Aussi lâchée que des chiens en fuite, une femme munie d’une canne traverse la nuit par où je ne sais. Je la rencontre d’ là où je suis sans qu’elle le sache. Je me trouve au port de mes idées quand elle s’avance vers le large. Elle se découvre de par son inconnu de grenioche isolée le temps d’une vue. Là où elle va, je suis de la revue.

 

Le 9 décembre 2019. C.B.

Un songe de présence

Juste le temps je prends de faire le point sur rien
Comme si j’avais le vague au creux du caberlot
Là où je cherche d’ordinaire au quotidien.
Je ne partage pas en le sein des autres, le flot.

Je suis ailleurs de par le rythme de mes pensées,
Je les rejoins par où elles ont pas commencé.
Je ne verse qu’au silence le fruit de mon retrait
Comme un peintre qui ne peut me brosser le portrait.

Je suis un homme qui pense à rien, pas plus que ça,
Qui se contente de la jachère de son esprit,
Et qui se tire de la situasse, façon fissa,
Comme si tout seul il se disait :   » Pas vu pas pris « .

Pas vu pas pris, ça doit être ça qui me régit,
Qui remplit ma vie de tout un air de magie.
Un air d’absence entre les autres, un air de fuite,
Un air de qui ne s’embarrasse pas pour la suite.

Le 18 septembre 2019. C.B.

A celle qui sourit quand le charme est tombé

Sans nul reproche, tu peux bien lui dédier ces vers,
Tu ne remettras  pas en cause son univers.
Tu joueras pas sur elle un rôle pour influer
Quand elle décide qu’est venu l’heure de te saluer.

Elle a ses politesses accrochées à ta vie,
Des allées et venues qui s’allongent à l’envi
Sous des airs de caresses qu’elle mitonne en son sein,
Et dont elle use du charme envers toi à dessein.

La camarde te laisse de la place à ton souhait
Où elle tisse pas à pas ce qui te devient vrai
Comme la seule enveloppe qui te soit affection
En un art consommé de toute sa passion.

Tu es marié à elle dès le commencement,
Inclus aux personnages qui peuplent son roman.
Tu peux chercher une fuite ; elle te rattrape au vol,
Elle capte tout de chacun de ses projets d’envol.

Elle te lâche pas même au sommeil de chez Morphée,
Comme si elle ménageait en tes songes ses effets.
Elle t’annonce la fin dont elle te parera.
Tout comme s’il te manquait une tenue d’apparat.

Le 19 août 2019. C.B.

Je me sens pris de l’être

Sans prévenir personne parmi mes camarades
Je m’en vais seul marcher une calme promenade
Sans aucun but précis autre que de m’oublier
Le long du temps qui va et de son sablier.
Je n’ai de but avoué que de me retrouver
Comme un seul homme en moi occupé à rêver.
Je trace le long des haies avant d’aller au bois
Où je me vêts d’une ombre toute couchée sur moi.
Elle s’accorde aux feuilles de ce coin solitaire
Dont peu à peu j’habite doucement le mystère.
Je m’établis en hôte voyageant sans témoin,
Silencieux à souhait et dont le plus grand soin
Est de se fondre au coeur de ce qui fait l’absence,
En ce terrain propice à gommer ma présence.
J’avance pas à pas comme si je n’étais pas,
J’avance d’un air fantôme tout sorti du trépas.
Que puis-je demander à ce monde désolé ?
Quand soudain un frisson en vient à  m’affoler.
Je me sens pris de l’être et un souffle m’enrobe
En un creux de caresse sans que je me dérobe.
Une histoire se raconte le long de mon esprit
En un luxe de détails qui me rend tout surpris :
Il se lève une aura aussi fine qu’un voile
Qui d’un frisson parcourt tout le sens de mes poils.
Et me voilà au pied d’une tombe isolée,
Pas du tout dans le style pompeux du mausolée;
Une sépulture en ruine cernée par la broussaille
Avec un rang de pierres en manière de muraille.
Je regarde ce jardin où ne fleurit nul nom
En dehors de la fuite lorsque nous la prenons.
Qui me chavire l’âme de ce point de néant
Comme si j’étais en prise avec un revenant ?
Je ne saurais le dire autrement qu’au silence
Dont ma pensée s’env’loppe quand une autre s’élance
A me parler d’une voix qui se lève de l’ailleurs.
« -Pourquoi me viens-tu voir sans montrer de frayeur ?
Quel espoir nourris-tu de cotoyer la mort ?
Sens-tu encore planer de ce qui me fut fort ?
Quand je hante ces lieux du fond de ma mémoire
Et que l’anonymat parle par mon histoire ?
Je suis une perdue en l’oubli de chacun
Et c’est peut-être en toi que je deviens quelqu’un.
Peux-tu me dire d’où tient que nous nous connaissions
Et si oui nous jouissons d’une commune passion ?  »
…Jusque-là tue aux autres mais belle et bien réelle
L’une de celles qui nous révèle toi et moi duel.
Nous formons un vrai couple, unis de par l’absence
Qui nous renforce sans cesse jusqu’à reconnaissance.
Je me sais désormais avec elle en coulisse
Qui me borde d’une ombre en son rôle de complice.
Je la vis mienne de chair au point de m’être une soeur
Qui me parcourt en long d’un soupir de douceur.
Elle est tout mon frisson et le suc de ma sève,
Elle anime mon regard jusqu’au bout de mes rêves.
Je sors des bois comme un homme seul en apparence
Mais sans être obligé de quelque transparence.
Je suis porteur d’une autre qui revient à la vie
A travers la camarde jetant son pont-levis.
Elle n’est plus l’hôte de la mort, mais une vivante
Une qui caresse mon corps de ses flammes ferventes.
Pour commencer, où est-ce qu’on va se reposer
Nous tous les deux, car on va rien se refuser ?
Eh bien alors, pas la peine de la présenter;
Je la garde pour moi sous la forme d’une nouveauté.
Je me promène avec mon autre, et c’est ma chance;
Vous seuls et moi nous en prenons la connaissance.
Je suis en route avec ma soeur, sortis des bois
Et c’est pour elle comme une source à laquelle elle boit
Que ce couple que nous sommes tous les deux et tout neuf
Aussi fort qu’une union qui s’extrait de son oeuf.
Si un jour, une nuit, ailleurs, vous nous rencontrez
Jamais de la vie vous ne nous reconnaîtrez;
Mais ça n’engage pas que nous nous vous remettions
Sur le simple constat de poser cette question :
Les couples mixtes vivants et morts, sont de ce nombre
Des humains rapportés où le charme est une ombre.

Le 22 décembre 2018. C.B.

La fin de moi

Elle me revient par tous les bouts, la fin de moi. Je me mets alors sur mon trente et un de tristesse d’une réserve d’où je puise bien avant le début de ma vie. Elle me revient comme si l’oubli se transformait en connaissance. Tous ceux qu’un manque a balayé de la souvenance s’arriment à mon caberlot quand il est ouvert. La fin de moi est une présence à ceux qui vont dispersés au large de la fuite. Je vais souvent jusqu’à la fin de moi au bord de mes limites visiter les extrêmes qui sont de me tenir un rang parmi les vivants. Mais à la fin de moi je plonge en un doute.

Le 18 avril 2018. C.B.

Je suis une ombre perdue au nombre

Déjà je suis d’oubli de vous,
Et cela me plaît je l’avoue
De rester l’inconnu de tous;
Ce péloquin qui passe en douce.

Je me promène parmi vous autres
Qui épouse d’un bord sur l’autre
Avec l’aisance d’un roi de rien
Toutes vos ondes en vrai marin

Parmi vous, je suis à la mer
Et je vais où mon pas se perd
Chercher les ruines qui se dérobent
À la surface de ce globe.

Dedans vos rangs, je suis l’absent
Au point de fuite intéressant;
Je n’ai pas le contact humain
A me frayer en vous, chemin.

Je suis le seul de ma nature
Au secret de ses aventures,
Une ombre exclue sans nul échange
Et qui jamais ne se mélange.

Je suis aussi mort que vivant,
Un moins que l’autre le plus souvent,
Mais c’est mon sort que de manquer
Après une fois tout abdiqué.

Je suis une ombre perdue au nombre,
Je suis un flou, je suis un sombre,
Pas un reflet de connaissance
Ni même un lien avec un sens.

Et cependant, je suis bien là
Aussi ailleurs que me voilà,
Sorti de la face cachée
De la lune quand elle est couchée.

Je n’ vous lâche pas par où que j’aille
Là où le monde est à la taille
De mon errance entre vos traces,
D’un bout à l’autre de votre race.

Je suis en trop, un étranger,
Ne sachant pas se mélanger;
Un qui se fond en  relations
Au domaine des apparitions.

Le 6 décembre 2017. C.B.

Où que j’aille

J’écris afin de chasser le temps des ruines de ma vie, cette poussière habitée qui se loge au  plus reculé des âmes. J’écris pour poser un nouveau regard sur le monde où ma pensée ne soit pas trahie par la parole des autres. J’écris pour témoigner de ma fuite parmi les ombres de ce temps. J’écris pour être un seul, un vrai, et pas l’obligé de relations où il se perd. J’écris des ruines de mon absence qui forment un tout de désolance. Je suis en deuil où que j’aille comme si l’écrit m’y devançait de son ennui et sa tristesse.

                                                                                                                                                                                                             Le 26 mars 2017.

                                                                                                                                                                                                                         C.B.