A mon père

Longtemps après ma mort je serai de ce monde
Comme un qui cherche encore à donner de ses ondes,
Le meilleur de l’oubli dont il sera paré.
Quand je serai de vous pour toujours séparé
Je parlerai encore par mon âme d’aujourd’hui,
Car l’objet d’une pensée en rien ne se réduit.
Je vous serai un autre, présent quoi que perdu,
Je serai de nos morts, toute tendance confondue.
Longtemps après ma mort, je serai de l’absence
Celle qui donne à la vie entre nous tout son sens.

Le 27.04.2020. C.B.

Hiéronimus ( e )

Entre les rimes elle trouve sa place, comme si elle déployait sa grâce. Son nom arbore des ailes d’oiseau échappé de quand l’époque où les messagers volaient entre les tours des forteresses. Hiéronimus, c’est tout le style d’un blason d’ancienne famille. C’est du rustique, de l’esthétique, du gothique, et tout le chant d’une langue morte par où je vis.

Hiéronimuse, c’est l’endroit où je suis attendu au sein de mes songes; là d’où rayonne ce que je puis envisager entre les mots, là où je donne de mon absence à chaque endroit que j’ai quitté. Car par ce nom épousé de moi je ne vis plus que de la perdre ma muse antique, Héronimuse. Aussi, par précaution, je la caresse d’un oubli.

Le 11 novembre 2019. C.B.

Un vol de flamme

Un feu passe sur la lande à une faible hauteur ainsi qu’un message provenant de l’oubli. Il n’a nulle provenance et pas plus de point où se poser. Il traverse les nuits par là où personne n’est, comme s’il cherchait le monde en son absence profonde. Il explore par le vide les espaces désolés où sa flamme affolée exprime ce qui n’est plus en dehors de son vol. Un vol de flamme à ras de lande s’en va visiter les ruines d’une abbaye où se tiennent aujourd’hui des ombres. Un ruisseau abreuve le silence où je me trouve au bord de l’onde.

Le 26. 10. 2019. C.B.

Un songe de présence

Juste le temps je prends de faire le point sur rien
Comme si j’avais le vague au creux du caberlot
Là où je cherche d’ordinaire au quotidien.
Je ne partage pas en le sein des autres, le flot.

Je suis ailleurs de par le rythme de mes pensées,
Je les rejoins par où elles ont pas commencé.
Je ne verse qu’au silence le fruit de mon retrait
Comme un peintre qui ne peut me brosser le portrait.

Je suis un homme qui pense à rien, pas plus que ça,
Qui se contente de la jachère de son esprit,
Et qui se tire de la situasse, façon fissa,
Comme si tout seul il se disait :   » Pas vu pas pris « .

Pas vu pas pris, ça doit être ça qui me régit,
Qui remplit ma vie de tout un air de magie.
Un air d’absence entre les autres, un air de fuite,
Un air de qui ne s’embarrasse pas pour la suite.

Le 18 septembre 2019. C.B.

De me trouver entre les morts, j’ai le loisir en ces visites que je pratique là où l’absence se laisse lire. Un petit coin de rien du tout où ne vont guère que les errants à la recherche des abandons. Je suis de ceux qui glanent là où les autres passent, comme des restes de leur présence, que je fais mienne. Je tisse l’histoire qui se refuse d’ordinaire aux approches non habitées. Je m’oublie là au sein des sombres.

Le 03. 10. 2019. C.B.

Je cherche un coin où être à moi seul au large des autres. Un coin perdu sans influence. L’un de ces coins où se développe ce qui n’est pas. Je cherche un endroit où l’on peut se tremper à l’ombre d’une absence et puiser en cette onde au flot de la camarde. J’aspire à ne pas être afin de garder des réserves à mon secret d’ailleurs.

                                                                                                                                                                                                    Le 21 juin 2019. C.B.

Je me sens pris de l’être

Sans prévenir personne parmi mes camarades
Je m’en vais seul marcher une calme promenade
Sans aucun but précis autre que de m’oublier
Le long du temps qui va et de son sablier.
Je n’ai de but avoué que de me retrouver
Comme un seul homme en moi occupé à rêver.
Je trace le long des haies avant d’aller au bois
Où je me vêts d’une ombre toute couchée sur moi.
Elle s’accorde aux feuilles de ce coin solitaire
Dont peu à peu j’habite doucement le mystère.
Je m’établis en hôte voyageant sans témoin,
Silencieux à souhait et dont le plus grand soin
Est de se fondre au coeur de ce qui fait l’absence,
En ce terrain propice à gommer ma présence.
J’avance pas à pas comme si je n’étais pas,
J’avance d’un air fantôme tout sorti du trépas.
Que puis-je demander à ce monde désolé ?
Quand soudain un frisson en vient à  m’affoler.
Je me sens pris de l’être et un souffle m’enrobe
En un creux de caresse sans que je me dérobe.
Une histoire se raconte le long de mon esprit
En un luxe de détails qui me rend tout surpris :
Il se lève une aura aussi fine qu’un voile
Qui d’un frisson parcourt tout le sens de mes poils.
Et me voilà au pied d’une tombe isolée,
Pas du tout dans le style pompeux du mausolée;
Une sépulture en ruine cernée par la broussaille
Avec un rang de pierres en manière de muraille.
Je regarde ce jardin où ne fleurit nul nom
En dehors de la fuite lorsque nous la prenons.
Qui me chavire l’âme de ce point de néant
Comme si j’étais en prise avec un revenant ?
Je ne saurais le dire autrement qu’au silence
Dont ma pensée s’env’loppe quand une autre s’élance
A me parler d’une voix qui se lève de l’ailleurs.
« -Pourquoi me viens-tu voir sans montrer de frayeur ?
Quel espoir nourris-tu de cotoyer la mort ?
Sens-tu encore planer de ce qui me fut fort ?
Quand je hante ces lieux du fond de ma mémoire
Et que l’anonymat parle par mon histoire ?
Je suis une perdue en l’oubli de chacun
Et c’est peut-être en toi que je deviens quelqu’un.
Peux-tu me dire d’où tient que nous nous connaissions
Et si oui nous jouissons d’une commune passion ?  »
…Jusque-là tue aux autres mais belle et bien réelle
L’une de celles qui nous révèle toi et moi duel.
Nous formons un vrai couple, unis de par l’absence
Qui nous renforce sans cesse jusqu’à reconnaissance.
Je me sais désormais avec elle en coulisse
Qui me borde d’une ombre en son rôle de complice.
Je la vis mienne de chair au point de m’être une soeur
Qui me parcourt en long d’un soupir de douceur.
Elle est tout mon frisson et le suc de ma sève,
Elle anime mon regard jusqu’au bout de mes rêves.
Je sors des bois comme un homme seul en apparence
Mais sans être obligé de quelque transparence.
Je suis porteur d’une autre qui revient à la vie
A travers la camarde jetant son pont-levis.
Elle n’est plus l’hôte de la mort, mais une vivante
Une qui caresse mon corps de ses flammes ferventes.
Pour commencer, où est-ce qu’on va se reposer
Nous tous les deux, car on va rien se refuser ?
Eh bien alors, pas la peine de la présenter;
Je la garde pour moi sous la forme d’une nouveauté.
Je me promène avec mon autre, et c’est ma chance;
Vous seuls et moi nous en prenons la connaissance.
Je suis en route avec ma soeur, sortis des bois
Et c’est pour elle comme une source à laquelle elle boit
Que ce couple que nous sommes tous les deux et tout neuf
Aussi fort qu’une union qui s’extrait de son oeuf.
Si un jour, une nuit, ailleurs, vous nous rencontrez
Jamais de la vie vous ne nous reconnaîtrez;
Mais ça n’engage pas que nous nous vous remettions
Sur le simple constat de poser cette question :
Les couples mixtes vivants et morts, sont de ce nombre
Des humains rapportés où le charme est une ombre.

Le 22 décembre 2018. C.B.

Je suis souvent avec ma mère

Je suis en charge d’un fantôme qui hante les travées de mon caberlot avec un charme volé aux songes. Mon imagination croise au large de son absence. Je lui sied de m’accorder visite. Parce qu’elle se refuse à manifester son autre en dehors de moi. Je la sais mienne. Entre les ombres de la nuit elle se déplace de l’une à l’autre jusqu’à la mienne où je l’attends. Et quand nos ombres ne font plus qu’une je suis son double. Je suis le sien là où son âme se propage au refuge de ma seule pensée. Avec elle je me sens en âge d’être un autre. Et j’en profite pour en chausser les bottes et me tirer ailleurs sur ces sentes où elle posait son oubli. Je les ai retrouvées entre des songes venus me rencarder : « — Ta mère y allait. Ta mère y allait. Vas-y à ton tour. Mais aie soin de croiser en dehors de tes pas ce qui est son absence.

 Le 9 novembre 2018 C.B.