A l’horizon du temps

Assez souvent je planque, afin de ne rien faire,
Ce qui de la planète n’arrange pas les affaires.
Mais je tire du plaisir à me rendre inutile,
A ne pas être rentable en un but mercantile.

Ca me remplit de joie de me perdre ainsi,
A l’horizon du temps où je me tiens assis.
Je suis pas un vieux sage pour me la ramener
Et tirer avantage du nombre des années,

La jouer en ancien à qui on la fait pas,
Car je le sais trop bien de l’aurore au trépas
On n’apprend rien du tout que cet art d’être seul,
Encore plus dév’loppé dès qu’on ouvre sa gueule.

Alors, j’use mes forces, à l’horizon du temps,
En isolé péquin que personne n’attend.
Je vais en solitaire par les lieux désolés.
Où jamais ne se risquent que des ombres affolées.

Et là je cherche après mes frères disparus
A convoquer le charme par des vers de mon cru.
Oui le charme existe des sites les plus sordides
Comme si une âme naissait de ce qu’on croit le vide.

Une trace invisible saluant notre passage
Et qui répand de nous une espèce de message.
Tous ces riens d’abandon me forment une famille
Une sorte de peuple où les présences fourmillent.

Oui, je suis habitué par tout ce qui n’est pas
Où l’absence se traduit sur le fil de mes pas.
Plus j’avance, moins je suis de la réalité,
Comme si de deux fantômes mon être enfanté

Arpentait des espaces sans cesse repoussés.
Je suis bien plus perdu que le Petit Poucet.
D’où pourrais-je les voir les traces de mon vécu
Rien que le temps d’une fois en un simple aperçu ?

Montrez-là moi enfin celle qui est mon histoire
Que je me plonge au fond en l’eau de son miroir.
Elle me fuit de toute part comme si j’étais un autre,
Elle ne veut se montrer ni à moi ni aux autres.

Ma vie est une perte perpétuelle du temps
Un passé aboli de plusieurs fois cent ans.
Je voudrais la cacher qu’elle serait déjà morte
Sans m’ouvrir de mon antre toutes grandes les portes.

Vous, les secrets enfouis, parlez-moi de  mes jours,
Instruisez-moi un peu et cela sans détour,
De ce que j’ai manqué et qui m’est bien perdu
A l’horizon du temps où ma fin est rendue.

Je n’ai plus le ressort pour illustrer ma vie
Ni d’inventer encore au fil de mon envie,
Aussi, ai-je décidé à l’ombre de ma fin
De ne pas me tenir comme quelqu’un qui feint.

 

Le 8.2.2020. C.B.

A celle qui sourit quand le charme est tombé

Sans nul reproche, tu peux bien lui dédier ces vers,
Tu ne remettras  pas en cause son univers.
Tu joueras pas sur elle un rôle pour influer
Quand elle décide qu’est venu l’heure de te saluer.

Elle a ses politesses accrochées à ta vie,
Des allées et venues qui s’allongent à l’envi
Sous des airs de caresses qu’elle mitonne en son sein,
Et dont elle use du charme envers toi à dessein.

La camarde te laisse de la place à ton souhait
Où elle tisse pas à pas ce qui te devient vrai
Comme la seule enveloppe qui te soit affection
En un art consommé de toute sa passion.

Tu es marié à elle dès le commencement,
Inclus aux personnages qui peuplent son roman.
Tu peux chercher une fuite ; elle te rattrape au vol,
Elle capte tout de chacun de ses projets d’envol.

Elle te lâche pas même au sommeil de chez Morphée,
Comme si elle ménageait en tes songes ses effets.
Elle t’annonce la fin dont elle te parera.
Tout comme s’il te manquait une tenue d’apparat.

Le 19 août 2019. C.B.

Sans que je demande rien à personne, mais par une perfidie, une jalousie d’un tiers, il m’en revient une chouette aux écoutilles : Ma belle, ma femme, ma douce ne veut pas de ma reconnaissance sous le jour  de muse. Elle en aurait sa claque de cette espèce de rôle que je lui force à jouer. ça lui taperait sur le système. Certes, je l’entends, mais que vais-je devenir sans représentation de l’objet aimé ? C’est tout comme si elle arguait de son droit à l’image, ou de son droit de retrait. Le droit de retrait d’une muse est difficile à négocier. C’est pareil à être veuf. Aussi, mes chers amis, si elle me fait défaut, je suis décidé à tout de même utiliser ses charmes.

                                                                                                                                                                                               Le 27 décembre 2018. C.B.

Je me sens pris de l’être

Sans prévenir personne parmi mes camarades
Je m’en vais seul marcher une calme promenade
Sans aucun but précis autre que de m’oublier
Le long du temps qui va et de son sablier.
Je n’ai de but avoué que de me retrouver
Comme un seul homme en moi occupé à rêver.
Je trace le long des haies avant d’aller au bois
Où je me vêts d’une ombre toute couchée sur moi.
Elle s’accorde aux feuilles de ce coin solitaire
Dont peu à peu j’habite doucement le mystère.
Je m’établis en hôte voyageant sans témoin,
Silencieux à souhait et dont le plus grand soin
Est de se fondre au coeur de ce qui fait l’absence,
En ce terrain propice à gommer ma présence.
J’avance pas à pas comme si je n’étais pas,
J’avance d’un air fantôme tout sorti du trépas.
Que puis-je demander à ce monde désolé ?
Quand soudain un frisson en vient à  m’affoler.
Je me sens pris de l’être et un souffle m’enrobe
En un creux de caresse sans que je me dérobe.
Une histoire se raconte le long de mon esprit
En un luxe de détails qui me rend tout surpris :
Il se lève une aura aussi fine qu’un voile
Qui d’un frisson parcourt tout le sens de mes poils.
Et me voilà au pied d’une tombe isolée,
Pas du tout dans le style pompeux du mausolée;
Une sépulture en ruine cernée par la broussaille
Avec un rang de pierres en manière de muraille.
Je regarde ce jardin où ne fleurit nul nom
En dehors de la fuite lorsque nous la prenons.
Qui me chavire l’âme de ce point de néant
Comme si j’étais en prise avec un revenant ?
Je ne saurais le dire autrement qu’au silence
Dont ma pensée s’env’loppe quand une autre s’élance
A me parler d’une voix qui se lève de l’ailleurs.
« -Pourquoi me viens-tu voir sans montrer de frayeur ?
Quel espoir nourris-tu de cotoyer la mort ?
Sens-tu encore planer de ce qui me fut fort ?
Quand je hante ces lieux du fond de ma mémoire
Et que l’anonymat parle par mon histoire ?
Je suis une perdue en l’oubli de chacun
Et c’est peut-être en toi que je deviens quelqu’un.
Peux-tu me dire d’où tient que nous nous connaissions
Et si oui nous jouissons d’une commune passion ?  »
…Jusque-là tue aux autres mais belle et bien réelle
L’une de celles qui nous révèle toi et moi duel.
Nous formons un vrai couple, unis de par l’absence
Qui nous renforce sans cesse jusqu’à reconnaissance.
Je me sais désormais avec elle en coulisse
Qui me borde d’une ombre en son rôle de complice.
Je la vis mienne de chair au point de m’être une soeur
Qui me parcourt en long d’un soupir de douceur.
Elle est tout mon frisson et le suc de ma sève,
Elle anime mon regard jusqu’au bout de mes rêves.
Je sors des bois comme un homme seul en apparence
Mais sans être obligé de quelque transparence.
Je suis porteur d’une autre qui revient à la vie
A travers la camarde jetant son pont-levis.
Elle n’est plus l’hôte de la mort, mais une vivante
Une qui caresse mon corps de ses flammes ferventes.
Pour commencer, où est-ce qu’on va se reposer
Nous tous les deux, car on va rien se refuser ?
Eh bien alors, pas la peine de la présenter;
Je la garde pour moi sous la forme d’une nouveauté.
Je me promène avec mon autre, et c’est ma chance;
Vous seuls et moi nous en prenons la connaissance.
Je suis en route avec ma soeur, sortis des bois
Et c’est pour elle comme une source à laquelle elle boit
Que ce couple que nous sommes tous les deux et tout neuf
Aussi fort qu’une union qui s’extrait de son oeuf.
Si un jour, une nuit, ailleurs, vous nous rencontrez
Jamais de la vie vous ne nous reconnaîtrez;
Mais ça n’engage pas que nous nous vous remettions
Sur le simple constat de poser cette question :
Les couples mixtes vivants et morts, sont de ce nombre
Des humains rapportés où le charme est une ombre.

Le 22 décembre 2018. C.B.

Attirance

Je ne parle pas de la mort, ça lui donne des ailes
À cette jolie demoiselle.
Mais que voulez-vous, en face de la disparue
Qu’est une femme croisée à la rue
Et de la force qu’elle représente pour mon désir
La mort en moi me fait gésir.
Anéanti de par la perte, je suis vaincu,
Sans réaction et sans accus.
Jamais elle ne saura en quoi cette attirance
Est le ferment de mon errance.
Je ne puis pas fixer mon âme à un appui ;
Tant elle s’approche du fond du puits.
Mais cependant le plus terrible à recevoir :
Elle m’abandonne sans le savoir.
Et auprès d’elle je ne suis même pas quelqu’un
Alors que ça fait rire d’aucuns.
Moi j’ai perdu toute ma substance par elle volée
Que je m’en sens un exilé,
De bout en bout jusqu’à n’en plus me retrouver,
Sauf à l’ailleurs, sans y rêver.
Je suis sans elle avec des ombres sur mon chemin,
Je caresse le spleen de ma main
Comme l’habitué de cet oubli où je me perds,
Lorsque c’est son charme qui opère.
Cet instant d’attirance au bout de mes regrets
Me fuit et puis il disparaît.
Je n’ai même plus de lien avec une déchirure
Que le chagrin prend pour parure.

Le 12 novembre 2018 C.B.

Je suis souvent avec ma mère

Je suis en charge d’un fantôme qui hante les travées de mon caberlot avec un charme volé aux songes. Mon imagination croise au large de son absence. Je lui sied de m’accorder visite. Parce qu’elle se refuse à manifester son autre en dehors de moi. Je la sais mienne. Entre les ombres de la nuit elle se déplace de l’une à l’autre jusqu’à la mienne où je l’attends. Et quand nos ombres ne font plus qu’une je suis son double. Je suis le sien là où son âme se propage au refuge de ma seule pensée. Avec elle je me sens en âge d’être un autre. Et j’en profite pour en chausser les bottes et me tirer ailleurs sur ces sentes où elle posait son oubli. Je les ai retrouvées entre des songes venus me rencarder : « — Ta mère y allait. Ta mère y allait. Vas-y à ton tour. Mais aie soin de croiser en dehors de tes pas ce qui est son absence.

 Le 9 novembre 2018 C.B.

Tu me reconnais pas ?

De passage en une rue montante, après un cimetière j’aperçois un chat couché. Il demande rien à personne, sauf que de me voir passer par là. Il a l’air des plus mal en point avant même que je ne sois sur lui. Il se traîne comme un cadavre vivant ravagé par un mal qui fait sourdre de la mousse en un coin de ses lèvres. J’ai cette formule où je résume tout mon trouble : « -Tu me reconnais pas  ? « 

Je ne sais si c’est ma voix qui le charme plus encore, mais il rampe en se tordant de convulsions avec le regard fixe comme s’il fermait déjà son âme. Je ne puis rien faire en face de ce pauvre marcou réduit à l’état de larve. Je ne dispose pas de trousse de médecin. Mon impuissance me suit cependant très au delà de la rencontre. Je pense à lui, à mon matou. Je pense que je n’ai pas eu les mots qu’il faut en semblable circonstance.

Aurais-je dû lui causer de la camarde qui le guettait ? Etais-je capable de me trouver à son trépas ? Je ne sais qu’une phrase à lui dire maintenant que je l’ai quitté : « -Je ne suis pas loin. Je ne suis pas loin… « 

C’est juste un baume sur sa douleur qui me révèle que je ne peux lui parler vraiment, qu’il m’est chagrin sans que j’y puisse…

Ce que je redoute, c’est qu’on ne le ramasse, tout incapable à se défendre qu’il est, et que de la sorte un autre ne me vole sa fin.

 

Le 20 octobre 2018. C.B.

Je vis de ton charme

À Isabelle.

D’où me viennent mes larmes ? D’où que j’aille les puiser je n’en sais la provenance, même en sniffant les vapeurs d’intraveineuse à ma portée. Je crois que mes larmes remontent à la source du chagrin de te perdre. C’est pourtant toi qui veille sur mon modeste somme, toi qui soigne mon âme en visitant mes songes. Toi, la dame aux yeux creux, tu m’offres le repos au couvert de ton ombre. Mais même couché au plume des souffrants, tu me gardes une place ailleurs qu’à l’agonie. Je ne suis pas de ces malades à la traîne des soins, quoi que je ne les juge pas. Je suis habillé de la tristesse du mort soigné par la camarde. Je me situe sous ta gouverne, et je vis de ton charme sur moi répandu.

Le 10 avril 2018. C.B.

De son sourire

La fière moustache de Maupassant
De son sourire remue les sangs
Quand de ses ailes la caresse
Frôle la peau de sa maîtresse.

La vraie conquête du Normand,
Celle dont il fut le tendre amant,
C’est bien Clotilde de Marelle,
La plus douce de ses girelles.

Pas une autre n’a autant de chien
Et ce charme tout parisien
Qui fait d’elle une héroïne;
Aux côtés de sa fille Laurine.

De fièvre, elle ennivre Bel-Ami,
Au feu des sens à eux promis
Par l’entremise des petis-bleus
Du télégraphe tendu entre eux.

À chaque rencontre ils renouvellent
Cette passion qui les révèle
A n’en plus former qu’un seul être
Très au delà du monde des lettres.

Où les chercher sinon au charme
Qui d’eux n’a pas baissé les armes ?
Comme si le couple vivait vraiment,
En échappé de son roman.

Le 28 janvier 2018. C.B.

À ma santé

À regarder ma chatte boire
Je suis saisi comme d’un espoir.
Sa jolie langue me raconte
Comme le tout début d’un conte.

À coups râpeux, elle boit de l’eau
À s’en ravir plein le goulot
Avec ce charme du naturel
Qui lui échappe en don sensuel.

Ma chatte boit à ma santé
Une eau pure, et ainsi fêté
Je lui retourne le compliment
Servi d’un bon verre de crémant.

Nous sommes ainsi unis nous deux
Pour un souper en amoureux
Au clair de lune de nos chandelles
Elle allumée, et moi fou d’elle.

Elle manie les jolis couverts
Avec grâce, autant que les verres
Dont elle se sert en délicate,
En savourant tout mon picrate.

Ma greffière est une raffinée,
Une féline de touche satinée
Qui vit en couple fort de son homme,
Car c’est de la sorte qu’elle me nomme.

 

Le 26 février 2018. C.B.