Une ruine s’il vous plaît !

christophemedaillonIl compose des poèmes en terrasse de cafés et elle croque les portraits du commun qui passe par la rue. Ils vivent d’art à tous les coins de ville, sans forcer leur allure ni chercher le rendement. Ils cherchent où se pieuter en un squat, mais une ruine s’il vous plaît ! Afin d’y recréer l’inspiration du temps au luxe des pierres usées.

                                                                                                                                                                                                                                    Le 1er juillet 2016.

                                                                                                                                                                                                                                                C.B.

 

Les Friches mortes

        christophemedaillonDepuis belle lurette, les écussons aux armes des illustres familles nobles ont disparu de la circulation, et l’on peut penser raisonnablement que les plaques minéralogiques les ont remplacés. Avec les potes, nous nous amusons à les déchiffrer, quand il s’en approche une de voiture… Ce sont des amoureux la plupart du temps. De ceux qui se cherchent un coin à eux pour s’embrasser à plein goulot. Nous, on les regarde de loin, chacun sa paire de jumelles en poche dès qu’y’a bonne occase. Puis ils repartent à bord de leur tire, comme ils sont venus. Nous, on rentre souvent après ces bécotages, afin de s’en souvenir au mieux.

      Qu’il fasse mauvais temps ou que le ciel tire vers le bleu, nous sommes là sur notre territoire. On n’en connait pas partout, mais à l’usage on sait par où il faut roder. Sauf qu’un début de neuille, vers il était dix heures et quelque, nous voyons arriver une très grande caisse, le genre américain, avec des ailes relevées, et ce sans plaque. Elle s’est garée, et deux types en sont sortis, cependant que les copains et moi  nous jugeons que d’autres demeurent à l’intérieur, à surveiller les alentours. Au bout de peu de temps, on les voit aller ouvrir le coffre et en sortir des poids lourds comme des corps. Ils s’y prennent à deux et ils les déposent à trente pas de là, à l’abri des hangars de ces friches dévastées.

     Qu’est-ce qu’ils fabriquent à la lueur de lampes torches ? Pas besoin d’être grands clercs pour deviner la nature du transport. Ca tourne autour de la camarde, et pas des plats préparés. Ils transbahutent de la camelote qu’a plus de valeur sur le marché. Enfin, ça, nous on le sait pas d’emblée que ça relève d’une perte. On est au jus que de leur schtourbe nocturne. Quand ils se barrent sans autre forme de congé.

     C’est alors que du fond de la nuit où il se tenait, nous voyons s’amener un drôle de gars aux pattes arquées. Il paraît seul. De par la forme de sa gueule on le dirait tout cabossé, car il a la tournure d’un coffi avec une joue qui rentre en d’dans, et l’aspect hâve qui va avec d’un qu’a les couleurs en berne. Mais voilà qu’il est pas seul à s’activer, parce qu’on voit bientôt une créature se détacher de l’ombre pour le rejoindre. Elle se révèle pas des plus choucardes cette seconde apparition, d’une allure de femme d’une autre époque avec fichu et panier pour les courses, le genre furtif et souris grise qui passe en fraude.

     Nous, ce que nous redoutons, c’est que le couple ne devine nos mires posées sur son matricule. Moi, en cette situasse, j’aurais préféré une jolie fille qui remue des nèfles au cadencement du regard qui les suit. Je sais pas si les autres phantasment de la même sorte. Pas moyen de rouler un palot à la vioque en tout cas !

     Quand Colas, l’un de mes deux potes, il lâche à propos du bas de la goule et de sa barbouze mal taillée et filasse : « -Tu crois que c’est une vraie ?

     Lucas rétorque : -Je me tape de pas le savoir, tu vois… « 

    Les deux de la mistoufle, ils sont en charge de la récupe de ce que les autres déposent. Ils rappliquent toujours au jus. Ils nous semblent charogner. Nous nous demandons ce qu’ils boutiquent, avec une once de doute.

      Quand, en forçant les écoutilles, nous les entendons formuler : « -On va les emmener à la ferme !…  Ca s’ajout’ra à la réserve. Tu penses pas ?

-Si. En v’là en rab’ ! « 

Pour une économie durable de la conservation des restes. Le couple des deux viandards s’enfonce sous les bois avec chacun sa barbaque, vu qu’ils ont de la souplesse dans l’effort. Et nous à sa suite à quelque distance, ils rejoignent une antique caisse  en ruines par tous les bouts à bord de laquelle ils grimpent  après s’être débarrassé des moucrabes à l’arrière, en plein air, sur une plate-forme où nous montons en loucedé, tous les trois. Ca beurrouette un peu, mais on se tient au corps embarqués, cependant que la route nous chaotte tout le train au rythme de ses bosses.

      La nuit pousse ses cris ordinaires d’animaux nocturnes sur notre silence, comme nous sommes brassés avec les deux crounis. Tout y passe de peur à leur contact sans que l’on puisse s’exprimer à notre tour. Embarqués pour où qu’on ? Nous ne reconnaissons pas par où ils nous conduisent. Ca nous paraît pas du pays. Ils stoppent au beau milieu de pas plus repérable. On se tire d’avec la compagnie des morts. Va falloir faire sans eux… Quand attention  ! Soudain les voilà qui s’activent à notre terreur. Les voilà qui se bougent les compagnons de la camarde, que le seul son qui me sourd du clapet est : « -Mouia ! « 

Mes deux camarades de rien trouver à ajouter.

Mais les mots causent. Ils s’adressent au conducteur et à sa girelle : « -Venez par là les gars les filles ! Par là. On a de la visite. Et de la chouette. De la charnue… « 

       Nous sentons subito des branques tordus du caberlot. Ca dure que le temps d’une poignée de secondes. On file tout droit à travers la nuit sur le chemin de l’envers. Partis en flèche à trois. Tout se culbute à la volée des morts qui coursent à la poursuite. On a pas assez de jambes à nous trois pour distancer le quatuor. Ils ont repris leur bagnole à bord de laquelle ils gagnent du terrain, une fois fait demi tour. Mais nous on fausse l’allure, on ralentit. On se prend à diverger de leur poursuite. Tous les trois on bite que les champions de la récupe de macchabs ils en veulent aussi à nous. et l’on disparaît quelque part où la nuit est pas découverte…

                                                                                                                                                                                                     Le 17 juin 2016.

                                                                                                                                                                                                              C.B.

Monsieur de Fermanville

christophemedaillon

 

Est-ce que vous connaissez Monsieur de Fermanville ?
Son aura et sa geste nous le montrent en Devil,
Depuis des lustres, ne l’oubliez pas il opère
De Malakoff en Manche, en de famille bon père.
Mais il est vénéneux sous des airs de bonhomme ;
Je le tiens de source sûre de par Madame Bonhomme,
Qui se méfie de lui et de son importance,
Dissimulé qu’il est sous faconde et jactance.
Il travaille dans l’ombre pour une œuvre damnée
Qui se renforce sans fin au nombre des années,
Acoquiné qu’il est au sombre Pierre Ménard ;
La ruine de ce monde qui avec lui se narre.

Pierre Ménard

Le sombre Pierre Ménard

Le 9 juin 2016.

C.B.

La fenêtre aveugle de ruines sans nom

        christophemedaillonElle vient en ambassade de ses sœurs et des portes murées, ainsi que des murs orbes. Elle  vient en ambassade de ce qui ne se voit pas. Elle a une ombre ouverte sur son absence de vue. La fenêtre aveugle de ruines sans nom demeure debout comme l’œil fixe d’une âme. C’est une blessure aux soins des apparences. Elle vise au large de l’ailleurs une sorte d’oubli de tout l’espace dont elle dispose en tant que close. Elle s’arrache aux portes du temps sans souvenir de cette époque où elle croisait les courants d’air. Elle n’a de souffle que de l’enfui.

        La fenêtre aveugle de ruines sans nom, vous pouvez vous poster derrière elle, et ne savoir que rien du tout, car c’est de son obturation même que vient le flot de se sauver pour elle. Cet œil fermé joue les absents sous le voile d’une peau en pierre comme une taie à tout jamais.

        Elle chasse le passé ainsi que de la poudre au vent. Elle en dispense la poussière au gré des songes de l’oubli… Elle a du grain de lune enfiévré sous la peau qu’elle révèle à la nuit, comme si elle était de sa face cachée le supplément sur terre. La fenêtre aveugle de ruines sans nom poursuit la pensée du moindre péquin qui passe, pourvu qu’il y pose un instant un peu de son regard.

                                                                                                                                                                                                                  Le 23 mai 2016.

                                                                                                                                                                                                                            C.B.

Le double de nos apparences

christophemedaillon

 

 

 

Elle se tape du Rince-Cochon
À la taverne de la soif
Là où cette nuit nous couchons
A l’abri du vent qui décoiffe.
Elle est seule à se régaler
Mais ça va pas la désoler
Car elle se vit en société
Avec de quoi se contenter.
Elle lit dans l’ombre des paroles
Tout ce qui ruine les rapports
Entre les gens qui jouent un rôle
Et dont l’absence est le support.
Elle vit des riens abandonnés
Par nous, une fois le dos tourné.
Elle est une âme à nos errances;
Le double de nos apparences.

Le 6 mai 2016.

C.B.

L’enfantôme

christophemedaillon

 

 

 

Je vous présente un enfantôme
Qui de sa vie fut le symptôme
À cette femme inconsolée
Dont cependant je vais parler.
Il ne vécut que quelques mois
Avant que la mort en émoi
Ne se dresse à son chevet
Avec un goût d’inachevé :
« -Tu dois partir avant ton temps;
Quitter ce monde tambour battant,
Au gros de tous ces naufragés,
En ruines parmi les passagers.  »
En ruines de ce qui ne fut pas,
Déjà frappé par le trépas,
Abandonné de son histoire,
Perdu en une âme transitoire.
La mère va vivre de cette absence
Comme si la mort prenait un sens
Pour elle, celui d’une ombre jetée
À jamais sur l’humanité.
Elle ne peut pas s’en dégager,
De son Treizième jusqu’à Angers.
Anne, sa fille est du voyage
Telle une complice, partout, sans âge.
Elle évoque parfois de ce sang
Comme une image du présent,
Le résultat d’une invention
Qui fixerait son affection
Très au delà de ce qui fut
Jusqu’à de la mort le refus
D’entre les autres disparus,
Là où elle ne l’a jamais crue.
Pour elle, sa fille est une aura,
Le rêve enfui qui ne sera
En vrai qu’une ombre où elle projette
Les fantasmes dont elle est sujette.
Mais après elle met au monde
Une autre enfant qui est seconde
À porter les couleurs du nom
Comme si cette sœur montait au front,
En du deuil la seule héritière
Pour unique entrée en matière,
Avec en charge de succéder
Au fantôme d’une décédée.
Vaste programme que cette carrière
Où l’on dépasse ses arrières
Contrainte par une rivalité
Qui est tout à fait inventée.
Car la mère entretient la fièvre
Et de la morte et de son rêve,
Qu’assez souvent, elle nomme, elle cite
Comme une preuve de la réussite.
« -Anne aurait été conquérante,
Une jeune femme très différente
De toi, et beaucoup plus ma fille
Que toi, au sens de la famille.  »
Elle s’en prend aussi à son homme
Qu’en des coups vengeurs elle assomme
De toute sa rage accumulée
Tant du couple, elle se sent volée.
Un jour de brouille du genre sanglant,
Un échange de propos cinglants
Oppose le gendre à la vieille femme,
Et le tout roule en mots infâmes.
Il lui sort d’un flot assassin
Une formule à dessein :
« -D’abord, vous avez tué Anne !  »
Dès lors, une nouvelle ombre plane.
Sa vie n’est plus qu’une défense
Contre le sort, contre l’offense,
Contre la lame plantée en elle
Qui coule d’un sang éternel.
Mais sa fille a pris la relève
De ses deux enfants qu’elle élève.
Ils sont ceux-là, d’Anne, les neveux,
Depuis les ongles jusqu’aux cheveux.
Ils lui valent comme une descendance,
Sans le savoir, une accordance,
Avec ce qui rayonne encore
D’elle, loin de l’âme ou bien du corps.

Le 17 avril 2016.

C.B.

Sous les ruines du temple

christophemedaillonJe suis absent au monde parce que j’ai mieux à faire que le tour de sa ronde où gravitent les autres. Je suis absent au monde, non pas par caprice, mais par souci de me réserver une place à la face cachée des choses. Je suis situé sous les ruines du temple comme un gaspard planqué, solitaire, mais aussi proche de ses frères. Je suis le rat des vieilles pierres démolies à la recherche des poésies de ce qui fut, et je lis le silence comme les pages les meilleures de l’oubli.

Le 16 avril 2016.

C.B.

 

À Caroline

christophemedaillon Caroline  nourrissait en son sein un joli cœur  de ruines, jamais reconstituées, et saignantes encore quand je les ai trouvées, penché sur cet ailleurs qui nous relie aux morts. Elle y enveloppait la mémoire envolée d’une princesse aux aurores. Ses ruines à elle battaient d’une âme en deuil. Sa souvenance fournissait à la rupture entre deux êtres. Le songe d’une perte l’a poursuivi toute une vie comme ces fantômes qui se présentent au creux du manque. Mais le pire en cette absence de sa chair volée par la camarde, c’est que jamais elles ne se retrouveront. Même ça, reste à l’état de deuil.

Le 2 avril 2016.

C.B.