Monsieur de Fermanville

christophemedaillon

 

Est-ce que vous connaissez Monsieur de Fermanville ?
Son aura et sa geste nous le montrent en Devil,
Depuis des lustres, ne l’oubliez pas il opère
De Malakoff en Manche, en de famille bon père.
Mais il est vénéneux sous des airs de bonhomme ;
Je le tiens de source sûre de par Madame Bonhomme,
Qui se méfie de lui et de son importance,
Dissimulé qu’il est sous faconde et jactance.
Il travaille dans l’ombre pour une œuvre damnée
Qui se renforce sans fin au nombre des années,
Acoquiné qu’il est au sombre Pierre Ménard ;
La ruine de ce monde qui avec lui se narre.

Pierre Ménard

Le sombre Pierre Ménard

Le 9 juin 2016.

C.B.

La fenêtre aveugle de ruines sans nom

        christophemedaillonElle vient en ambassade de ses sœurs et des portes murées, ainsi que des murs orbes. Elle  vient en ambassade de ce qui ne se voit pas. Elle a une ombre ouverte sur son absence de vue. La fenêtre aveugle de ruines sans nom demeure debout comme l’œil fixe d’une âme. C’est une blessure aux soins des apparences. Elle vise au large de l’ailleurs une sorte d’oubli de tout l’espace dont elle dispose en tant que close. Elle s’arrache aux portes du temps sans souvenir de cette époque où elle croisait les courants d’air. Elle n’a de souffle que de l’enfui.

        La fenêtre aveugle de ruines sans nom, vous pouvez vous poster derrière elle, et ne savoir que rien du tout, car c’est de son obturation même que vient le flot de se sauver pour elle. Cet œil fermé joue les absents sous le voile d’une peau en pierre comme une taie à tout jamais.

        Elle chasse le passé ainsi que de la poudre au vent. Elle en dispense la poussière au gré des songes de l’oubli… Elle a du grain de lune enfiévré sous la peau qu’elle révèle à la nuit, comme si elle était de sa face cachée le supplément sur terre. La fenêtre aveugle de ruines sans nom poursuit la pensée du moindre péquin qui passe, pourvu qu’il y pose un instant un peu de son regard.

                                                                                                                                                                                                                  Le 23 mai 2016.

                                                                                                                                                                                                                            C.B.

Le double de nos apparences

christophemedaillon

 

 

 

Elle se tape du Rince-Cochon
À la taverne de la soif
Là où cette nuit nous couchons
A l’abri du vent qui décoiffe.
Elle est seule à se régaler
Mais ça va pas la désoler
Car elle se vit en société
Avec de quoi se contenter.
Elle lit dans l’ombre des paroles
Tout ce qui ruine les rapports
Entre les gens qui jouent un rôle
Et dont l’absence est le support.
Elle vit des riens abandonnés
Par nous, une fois le dos tourné.
Elle est une âme à nos errances;
Le double de nos apparences.

Le 6 mai 2016.

C.B.

L’enfantôme

christophemedaillon

 

 

 

Je vous présente un enfantôme
Qui de sa vie fut le symptôme
À cette femme inconsolée
Dont cependant je vais parler.
Il ne vécut que quelques mois
Avant que la mort en émoi
Ne se dresse à son chevet
Avec un goût d’inachevé :
« -Tu dois partir avant ton temps;
Quitter ce monde tambour battant,
Au gros de tous ces naufragés,
En ruines parmi les passagers.  »
En ruines de ce qui ne fut pas,
Déjà frappé par le trépas,
Abandonné de son histoire,
Perdu en une âme transitoire.
La mère va vivre de cette absence
Comme si la mort prenait un sens
Pour elle, celui d’une ombre jetée
À jamais sur l’humanité.
Elle ne peut pas s’en dégager,
De son Treizième jusqu’à Angers.
Anne, sa fille est du voyage
Telle une complice, partout, sans âge.
Elle évoque parfois de ce sang
Comme une image du présent,
Le résultat d’une invention
Qui fixerait son affection
Très au delà de ce qui fut
Jusqu’à de la mort le refus
D’entre les autres disparus,
Là où elle ne l’a jamais crue.
Pour elle, sa fille est une aura,
Le rêve enfui qui ne sera
En vrai qu’une ombre où elle projette
Les fantasmes dont elle est sujette.
Mais après elle met au monde
Une autre enfant qui est seconde
À porter les couleurs du nom
Comme si cette sœur montait au front,
En du deuil la seule héritière
Pour unique entrée en matière,
Avec en charge de succéder
Au fantôme d’une décédée.
Vaste programme que cette carrière
Où l’on dépasse ses arrières
Contrainte par une rivalité
Qui est tout à fait inventée.
Car la mère entretient la fièvre
Et de la morte et de son rêve,
Qu’assez souvent, elle nomme, elle cite
Comme une preuve de la réussite.
« -Anne aurait été conquérante,
Une jeune femme très différente
De toi, et beaucoup plus ma fille
Que toi, au sens de la famille.  »
Elle s’en prend aussi à son homme
Qu’en des coups vengeurs elle assomme
De toute sa rage accumulée
Tant du couple, elle se sent volée.
Un jour de brouille du genre sanglant,
Un échange de propos cinglants
Oppose le gendre à la vieille femme,
Et le tout roule en mots infâmes.
Il lui sort d’un flot assassin
Une formule à dessein :
« -D’abord, vous avez tué Anne !  »
Dès lors, une nouvelle ombre plane.
Sa vie n’est plus qu’une défense
Contre le sort, contre l’offense,
Contre la lame plantée en elle
Qui coule d’un sang éternel.
Mais sa fille a pris la relève
De ses deux enfants qu’elle élève.
Ils sont ceux-là, d’Anne, les neveux,
Depuis les ongles jusqu’aux cheveux.
Ils lui valent comme une descendance,
Sans le savoir, une accordance,
Avec ce qui rayonne encore
D’elle, loin de l’âme ou bien du corps.

Le 17 avril 2016.

C.B.

Sous les ruines du temple

christophemedaillonJe suis absent au monde parce que j’ai mieux à faire que le tour de sa ronde où gravitent les autres. Je suis absent au monde, non pas par caprice, mais par souci de me réserver une place à la face cachée des choses. Je suis situé sous les ruines du temple comme un gaspard planqué, solitaire, mais aussi proche de ses frères. Je suis le rat des vieilles pierres démolies à la recherche des poésies de ce qui fut, et je lis le silence comme les pages les meilleures de l’oubli.

Le 16 avril 2016.

C.B.

 

À Caroline

christophemedaillon Caroline  nourrissait en son sein un joli cœur  de ruines, jamais reconstituées, et saignantes encore quand je les ai trouvées, penché sur cet ailleurs qui nous relie aux morts. Elle y enveloppait la mémoire envolée d’une princesse aux aurores. Ses ruines à elle battaient d’une âme en deuil. Sa souvenance fournissait à la rupture entre deux êtres. Le songe d’une perte l’a poursuivi toute une vie comme ces fantômes qui se présentent au creux du manque. Mais le pire en cette absence de sa chair volée par la camarde, c’est que jamais elles ne se retrouveront. Même ça, reste à l’état de deuil.

Le 2 avril 2016.

C.B.

La clef des ruines

christopheruines

Christophe, autoportrait

Savez-vous qu’en vrai j’ai perdu la clef qui mène à mes ruines ? J’ai perdu la clef du chantier où se démolissent mes pensées ratées, et mes rêves enfouis ne peuvent les remplacer, même si je fouille en mon passé. Je n’ai que du neuf en stock à vous proposer, et avec ça je manque au vieux de ma personne. Je suis un homme sans ruines loin de mes bases. Je suis un homme sans rimes loin de ses phrases. Je suis un homme qui cherche son œuvre usée hors de la place des musées. Je suis un chercheur de l’avant qui de l’histoire est un fervent. Mais comment me réintroduire en ce qui fuit en coup de vent ? Je cherche la clef de ce qui reste.

                                                                                                                          Le Le 24 mars 2016.
            C.B.

Isabelle – André Gide

isabelle1Gérard Lacase, chez qui nous nous retrouvâmes au mois d’août 189., nous mena, Francis Jammes et moi, visiter le château de la Quartfourche dont il ne restera bientôt plus que des ruines, et son grand parc délaissé où l’été fastueux s’éployait à l’aventure. Rien plus n’en défendait l’entrée : le fossé à demi comblé, la haie crevée, ni la grille descellée qui céda de travers à notre premier coup d’épaule. Plus d’allées ; sur les pelouses débordées quelques vaches pâturaient librement l’herbe surabondante et folle : d’autres cherchaient le frais au creux des massifs éventrés ; à peine distinguait-on de-ci de-là, parmi la profusion sauvage, quelque fleur ou quelque feuillage insolite, patient reste des anciennes cultures, presque étouffé déjà par les espèces plus communes. Nous suivions Gérard sans parler, oppressés par la beauté du lieu, de la saison, de l’heure, et parce que nous sentions aussi tout ce que cette excessive opulence pouvait cacher d’abandon et de deuil. Nous parvînmes devant le perron du château, dont les premières marches étaient noyées dans l’herbe, celles d’en haut disjointes et brisées ; mais, devant les portes-fenêtres du salon, les volets résistants nous arrêtèrent.

signature-dAndré-Gide

 

 

 

André Gide, Isabelle, Prologue, 1911.

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