Je cherche un coin où être à moi seul au large des autres. Un coin perdu sans influence. L’un de ces coins où se développe ce qui n’est pas. Je cherche un endroit où l’on peut se tremper à l’ombre d’une absence et puiser en cette onde au flot de la camarde. J’aspire à ne pas être afin de garder des réserves à mon secret d’ailleurs.
Lorsque ma chatte se trouve sur le dos en plein dessus la pelouse avec la queue qui remonte entre les pattes, il ne lui manque qu’un instrument à vent pour constituer une fanfare à elle toute seule. Tout le tabarin vient de ce que je l’écoute mener ses musiciens au seul son de son récital endiablé, encore plus assuré que celui d’une muse. Elle compose au silence, comme Beethoven. Elle souffle en sa queue et elle tire les notes qui vous compose une oeuvre…
Je connais un voleur de rimes
Qui de nos vers s’offrent des primes
En s’inspirant de nos recherches,
Alors que lui il a pas lerche
À œuvrer plein la nouveauté
Sous ses faux-airs d’homme habité
Par l’objet sacré de sa muse
Avec des sons de cornemuse.
Car y’a des couacs chez ce faiseur,
Un authentique grand phraseur.
Il ne le sait mais je le suis
De toutes les sueurs dont il s’essuie.
J’en garde les perles de ses efforts
Comme le son creux chers aux amphores
Là où expirent ses vers usés
Lorsque les miens sont refusés.
Je trouve sur un chemin de traverse une relique sans pareille et que je sais d’où venir : une crotte de nez de Quasimodo. Elle a voyagé jusque-là pour se révéler à moi sous la modeste représentation de la planète en réduction. Une boule de nez, voilà où je suis né.
Depuis jadis, les ruines accusent le temps, mais aujourd’hui la nature se venge autrement. Elle cartonne avec les cyclones, les tsunamis, les éruptions, les séïsmes. Elle se venge des blessures à elle commises par une engeance sans retenue. Elle tombe à plat comme des claques mortelles lorsque des maisons s’effondrent, voire des balcons. Elle prend sa revanche contre les humains. Elle leur règle leur compte à l’occase d’un drame bien senti. Et ça n’est que le début d’une lente décomposition contre le nombre.
Un moment, j’ai cru que je n’avais plus rien à dire, que le fameux Marck Winter m’avait jeté un sort et qu’il me tenait à sa merci. Mais la muse m’est revenue en douce, avec ce message : « -Marck Winter nous force à l’inspirer, et vous voyez ce que ça donne. Il se croit affublé des habits de la réussite. Sachez qu’il ne sait goûter les fastes de l’anonymat. «
Je n’y peux rien si je préfère les filles déjà prises, accompagnées si vous voulez. Il y a en cette quête quelque chose du refus à aboutir, une recherche comme si la tristesse était à portée de moi par le couple. Les femmes casées me proposent d’aimer ailleurs. C’est déjà un coin de présence entre ces ruines de tout rapport. Celles qu’on appelle des amoureuses me parlent au coeur de la souffrance. Elles se donnent au lieu de me plaire. De ce chagrin j’ai le secret. Je suis aussi veuf de l’amour que Robespierre sur la tombe de Marie-Antoinette.
Je ne serai jamais connu. ça, je le reconnais. Il s’agirait d’une farce que mon nom fasse le beau. J’ai beau m’aimer beaucoup, je ne franchirai pas le cap de me montrer en célèbre. Je serais un autre alors. Et il n’est pas d’accord pour que je nous livre au public. Il veut du secret sur nos entreprises à créer le monde. Donc, être connu, cela alourdirait le lot de mes faiblesses. Mon autre ne me le pardonnerait pas. Et, entre le perdre et réunir les bravos à mon endroit, je choisis ma vie de couple avec mon autre.
Sans que je demande rien à personne, mais par une perfidie, une jalousie d’un tiers, il m’en revient une chouette aux écoutilles : Ma belle, ma femme, ma douce ne veut pas de ma reconnaissance sous le jour de muse. Elle en aurait sa claque de cette espèce de rôle que je lui force à jouer. ça lui taperait sur le système. Certes, je l’entends, mais que vais-je devenir sans représentation de l’objet aimé ? C’est tout comme si elle arguait de son droit à l’image, ou de son droit de retrait. Le droit de retrait d’une muse est difficile à négocier. C’est pareil à être veuf. Aussi, mes chers amis, si elle me fait défaut, je suis décidé à tout de même utiliser ses charmes.
Sans prévenir personne parmi mes camarades
Je m’en vais seul marcher une calme promenade
Sans aucun but précis autre que de m’oublier
Le long du temps qui va et de son sablier.
Je n’ai de but avoué que de me retrouver
Comme un seul homme en moi occupé à rêver.
Je trace le long des haies avant d’aller au bois
Où je me vêts d’une ombre toute couchée sur moi.
Elle s’accorde aux feuilles de ce coin solitaire
Dont peu à peu j’habite doucement le mystère.
Je m’établis en hôte voyageant sans témoin,
Silencieux à souhait et dont le plus grand soin
Est de se fondre au coeur de ce qui fait l’absence,
En ce terrain propice à gommer ma présence.
J’avance pas à pas comme si je n’étais pas,
J’avance d’un air fantôme tout sorti du trépas.
Que puis-je demander à ce monde désolé ?
Quand soudain un frisson en vient à m’affoler.
Je me sens pris de l’être et un souffle m’enrobe
En un creux de caresse sans que je me dérobe.
Une histoire se raconte le long de mon esprit
En un luxe de détails qui me rend tout surpris :
Il se lève une aura aussi fine qu’un voile
Qui d’un frisson parcourt tout le sens de mes poils.
Et me voilà au pied d’une tombe isolée,
Pas du tout dans le style pompeux du mausolée;
Une sépulture en ruine cernée par la broussaille
Avec un rang de pierres en manière de muraille.
Je regarde ce jardin où ne fleurit nul nom
En dehors de la fuite lorsque nous la prenons.
Qui me chavire l’âme de ce point de néant
Comme si j’étais en prise avec un revenant ?
Je ne saurais le dire autrement qu’au silence
Dont ma pensée s’env’loppe quand une autre s’élance
A me parler d’une voix qui se lève de l’ailleurs.
« -Pourquoi me viens-tu voir sans montrer de frayeur ?
Quel espoir nourris-tu de cotoyer la mort ?
Sens-tu encore planer de ce qui me fut fort ?
Quand je hante ces lieux du fond de ma mémoire
Et que l’anonymat parle par mon histoire ?
Je suis une perdue en l’oubli de chacun
Et c’est peut-être en toi que je deviens quelqu’un.
Peux-tu me dire d’où tient que nous nous connaissions
Et si oui nous jouissons d’une commune passion ? »
…Jusque-là tue aux autres mais belle et bien réelle
L’une de celles qui nous révèle toi et moi duel.
Nous formons un vrai couple, unis de par l’absence
Qui nous renforce sans cesse jusqu’à reconnaissance.
Je me sais désormais avec elle en coulisse
Qui me borde d’une ombre en son rôle de complice.
Je la vis mienne de chair au point de m’être une soeur
Qui me parcourt en long d’un soupir de douceur.
Elle est tout mon frisson et le suc de ma sève,
Elle anime mon regard jusqu’au bout de mes rêves.
Je sors des bois comme un homme seul en apparence
Mais sans être obligé de quelque transparence.
Je suis porteur d’une autre qui revient à la vie
A travers la camarde jetant son pont-levis.
Elle n’est plus l’hôte de la mort, mais une vivante
Une qui caresse mon corps de ses flammes ferventes.
Pour commencer, où est-ce qu’on va se reposer
Nous tous les deux, car on va rien se refuser ?
Eh bien alors, pas la peine de la présenter;
Je la garde pour moi sous la forme d’une nouveauté.
Je me promène avec mon autre, et c’est ma chance;
Vous seuls et moi nous en prenons la connaissance.
Je suis en route avec ma soeur, sortis des bois
Et c’est pour elle comme une source à laquelle elle boit
Que ce couple que nous sommes tous les deux et tout neuf
Aussi fort qu’une union qui s’extrait de son oeuf.
Si un jour, une nuit, ailleurs, vous nous rencontrez
Jamais de la vie vous ne nous reconnaîtrez;
Mais ça n’engage pas que nous nous vous remettions
Sur le simple constat de poser cette question :
Les couples mixtes vivants et morts, sont de ce nombre
Des humains rapportés où le charme est une ombre.