L’éternel rêve humain

À Hubert-Félix THiéfaine

À depuis la nuit des temps remonte ce rêve de l’éternel humain : se voir après sa mort. J’aurais pas ce plaisir de prospérer en fantôme de mon autre. Se dépasser n’est pas de ma compétence. Je sais bien que c’est une responsabilité terrible que de ne pas rester pour ceux auxquels je conviendrai. Mais tous mes rendez-vous sont déjà pris avec l’absence. C’est ici mon point de rencontre.

Le 10 octobre 2018. C.B.

Sa nuit à lui rêve pour vous

De ces poêtes infréquentables
Marck Winter renverse la table.
Il a des lettres de noblesse
Et l’art des saillies qui nous blessent.

Il ne rime que pour le plaisir
D’entre ses griffes nous saisir,
Et caresser d’un air flatteur
Toutes nos absences de hauteur.

Il ne fouille qu’à travers les failles
Le fin menu de ces trouvailles
Que sont les âmes répandues
Au hasard des secrets perdus.

Il est au saut de nos errances
Le miroir feint d’indifférence,
Le roi des peintres de nos semblances
Qui nous double par ces coups d’avance

Maître Winter arpente le glauque

Et les cloaques de toute époque

Où il dév’loppe sa malfaisance

Avec le sourire de l’aisance

 

Au simple espoir en le malheur

Il se trouve toujours à l’heure,

Là où vous croyez caché

Aux ombres du soleil couché.

 

Sa nuit à lui rêve pour vous;

Il vous emmène au rendez-vous

De ses histoires les plus tordues

Entre les songes défendus.

 

Le 13 juin 2018.

C.B.

 

 

 

Marck Winter

Il s’appelle Marck Winter

Sous un blason d’emprunt il s’appelle Marck Winter,
Et savez-vous comment je connais son mystère
À celui qui s’illustre sur la fange et la honte
Au service du démon dont son oeuvre est la ponte ?

Je le sais en son antre où personne ne pénètre
Hormis les créatures enfantées par son être.
Je le sais en puissance de ce chibre démoniaque
Pour lequel par les nuits il refourgue sa niaque.

Jeunes femmes abandonnées, tremblez de tous vos sens,
Car ce bougre se veut de votre connaissance !
Fuyez par tous les diables au loin de sa rencontre
Et protégez votre âme avant qu’il ne se montre.

Le 15 mai 2018. C.B.

Habitants des nuits

Oubliés des songes aux autres, ils se manifestent à mon âme. Ils voyagent là où je ne puis aller qu’en ombre, c’est à dire loin des foules. Ils ne comptent plus leurs morts. Ils en sont revenus chaque fois comme en une nouvelle vie. J’ai pas besoin du sombre pour me montrer la nuit à eux. Je les sais à mon attente, sur des reliefs inaccessibles envahis par les os de la terre que sont les pierres sortant du sol. Ici, même un suicide passerait inaperçu, sauf des habitants de la nuit, habitués du néant où se terre les absences. Les habitants de la nuit gardent en eux le souvenir des traces humaines comme en réserve de l’oubli.

Le 30 avril 2018. C.B.

Plus ailleurs

La lande de Lessay

Ce coin est solitaire
Comme un songe sur la terre
Où l’âme se retranche
Après les dernières branches.

Car on est sur une lande
Où se groupent en bande
Des vieilles pierres moussues
De ce sol le dessus.

Qui y passe son chemin
N’a pas les cartes en main,
Car il peut disparaître
D’un seul coup, tout son être.

Certes, l’endroit sélectionne
Les gens qu’il affectionne
Afin de les ravir
Sur le vif, là où virent

Les éléments tangibles
Où l’humain devient cible
Et se fond corps et âme
Sans espoir de sésame.

Ces secrets en réserve
Font que ces lieux se servent
A dispo de présences
Qu’ils transforment en absences.

Combien les cherchent depuis
Ces disparus du puits
Où s’escamote la vie
Pour certains, à l’envi ?

Et par ou s’en vont-ils
Si leur perte est utile ?
Qu’on sache qui les dérobe
En ce point de ce globe.

C’est une sente boisée
Où la chose est aisée,
Où l’être devient ombre
Pour s’extraire du nombre,

Et, oublié de lui
Sombrer en de la nuit,
En la nuit des absents
Où coulent le fleuve sang.

Ce fleuve charrie les pertes
Comme des proies offertes;
Il trimballe les enfuis
Et fait taire les bruits.

Ainsi, les détenus
De ce coin seul et nu
Composent-ils un monde
En dimension seconde.

Le 6 mars 2018 C.B.

Semblant

Je marche seul en moi comme au sein des sentiers les plus reculés de ma nuit. Je vais au pas d’une ombre qui se partage les rôles de tous mes disparus. J’embauche aussi des autres, ceux que l’absence ravit comme une perte récente. Ils me dépassent en nombre mais pas en volonté d’être de leur essence. Je suis l’absent au monde en dépit de mes formes qui me poussent à l’avant des rencontres. Mais qui parle en moi, sinon de mon semblant ?

Le 3 mars 2018. C.B.

Où l’éclairage cherche son nid II

II Où l’éclairage cherche son nid en les élans de l’agonie de la nature sombrant au fangeux, je suis la pousse de son ivresse à la preuve de ma tendresse. Je suis le semeur de caresses sous le regard de la cafarde. Ces caresses dont l’absence se farde. J’ai une fièvre particulière pour ces instants de solitude aggravés de semées boueuses, comme la bave aux lèvres de la nuit. C’est son génie qui vogue au pire. Quand on est proche d’eux les coins reculés, on y atteint à son génie, au vrai visage d’où elle embrasse par les rayons de sa détresse.

Le 6 mars 2018. C.B.

Où mon père…

Venu du bord de tout oubli, j’ai rencontré un mien perdu, au commencement de la nuit où l’ombre porte en ses replis comme le fruit d’une liaison. Il m’a parlé du cimetière où l’on croit qu’il est conservé, quand c’est des ruines dont il se pare pour résider. Il m’a dit de ne pas chercher un début à leur découverte, car lui seul peut me contacter. Les ruines secrète de son absence forment l’endroit de mes regrets.

Le 10 novembre 2017. C.B.

Je suis un silence sorti des ruines

      !Je suis un silence sorti de ruines. Une ombre de présence. Je suis partout où ça se passe. Je suis une âme à la parole. Je suis celui que vous savez ne jamais lâcher le crin de sa monture la nuit, pour venir visiter toutes  les sentes oubliées du rêve. Je suis celui qui se dépense en vue de ne pas perdre le lien avec l’autre. Je suis celui qui vous voyage. Je suis celui qui vous rencontre lorsque vous vous croyez seul, et qui ne prend que l’espace d’une ombre. Je suis votre vous, votre autre. Je suis de ceux qui reparaissent pour vous annoncer parmi le monde, une fois que vous êtes mort. Je suis celui qui dépasse la fin, et pour qui les ruines ne sont que le commencement du passé.

Le 21 juin 2017. C.B.

Frida

Une fois, sans me trouver, je me promène dans le Louvre, au département des sculptures, l’âme oubliée à ne rien activer, seul ou presque en cette heure de midi où l’affluence prend un peu de repos. Je m’assieds à songer  sans me soucier du reste…. Quand, quand oui, j’entends bien une voix qui parle comme à mon oreille.

« -Tu m’entends, dis, tu m’entends ? « 

Je me retourne, et après examen de la situasse, je me rends compte que c’est une statue de  gladiateur qui remue les lèvres. Vous pensez quelle frousse du diable m’envahit toute la structure !

« -Calme-toi mon camarade. J’ai une mission pour toi. En fait, j’attendais ta venue depuis un bail. « 

Quezaco ?

Frida

« -Tu connais Frida ?

-Frida…. ?…. Oui. Je la remets. C’est votre sorte de soeur….

-C’est ça… J’ai un message à son adresse. Tu veux bien être mon émissaire ?

-Je vous écoute…. fais-je, l’envie en moi de me  casser au plus vite, et d’échapper à ce manège de fou, grandeur nature. Car la statue est à ma taille, le muscle noueux, et l’énergie à fleur de marbre de tous ces siècles écoulés.

« -Mon cher ami, je te demande simplement de rapporter à Frida de me venir voir. C’est de l’ordre du possible. Il y a une place prête pour elle, et soit le personnel, soit la direction, personne n’y verra que du feu. Quand ils s’apercevront de sa présence, elle sera installée par sa seule force. Impossible de l’y déranger. Tu me crois ?

-Oui…

-J’espère tout de ton ambassade…. « 

Je remets ma gapette sur mon chef et je m’en vais me ressourcer sur la base d’un bon verre de pinard. Je vous assure préférer amplement cheminer sur des ruines. Mais de la pierre sculptée, mais de la pierre taillée…

 Une fois revenu en Anjou, j’hésite un tantinet sur la démarche à suivre. Et puis, un soir, invité là où réside Frida, quelque sentiment me lance. J’ai l’intérêt qui monte, et j’attends la nuit pleine pour revenir. Monté sur ma bécane, je me rends à nouveau sur place. Je rentre au jardin où se tient Frida. J’avance sans bruit, presque en l’absence de toute essence, le pas posé comme sur les traces de mon fantôme.

« -Pas tant de précautions; je suis là s’exprime Frida. Je ne dors pas.

-Je viens te voir parce que tu es aimée.

-Moi aimée ? Tu plaisantes, je suppose. Je n’ai que l’esprit et la patte de l’artiste pour me révéler.

-Tu es aimée. Je le sais !

-Par qui ?!

-Un gladiateur.

-Comment s’appelle-t-il ?

-Glaodio. Glaodio de Tyrène.

-Tu me mens pas ? qu’elle fait du fond d’une petite grotte de fraîcheur où elle loge entre la haie et la pelouse. Tu me garantis qu’il s’agit pas d’une entourloupe de ton cru ?

-Glaodio deTyrène. Je te dis ! »

Et elle prononce le nom comme je me retire.

       Après ce, je me demande s’il faudra pas retourner au Louvre, voir sur place… Mais j’ai pas besoin. Je rentre chez moi où je me couche, lorsque soudain, le caberlot à l’ailleurs, je vise au beau milieu de mes papiers, deux sculptures pas plus hautes que ma main, et serrées l’une contre l’autre : Frida et Glaodio.

Il semble rire d’un bel ensemble où je me mire, en l’atelier de leur rencontre.

                                                                                                                                                                                  Le 10 mai 2017.

                                                                                                                                                                                           C.B.